Par Alain Auffray, Libération.
Il a fallu que ce soit lui. Justement lui : ce conservateur discret, dégoûté par la politique spectacle. «Allons enfants…» Quand une voix fragile a timidement défié l’impressionnant silence de l’Assemblée nationale rendant hommage aux victimes du terrorisme, Valls a jeté un regard inquiet vers les bancs de l’UMP. Qui chantait ? L’un de ces patriotes autoproclamés qui dégainent à tout bout de champ des Marseillaise machinales ? Non. Justement non. Le chanteur était le contraire d’un brailleur pour qui la droite a le monopole de la France. C’était un inconnu, Serge Grouard, député-maire d’Orléans. Un gaulliste un peu exalté, hanté par l’histoire de France. Il avoue avoir «horreur de chanter en public». Confie même que ça lui paraît souvent «un peu ridicule», «déplacé». Surtout lors des réunions militantes : «La Marseillaise, c’est la nation, pas le parti.»
Deux jours plus tôt, on l’avait croisé, ceint de son écharpe tricolore, au départ de la grande «marche républicaine». Agité au milieu de la foule immense, il cherchait à décrire cette chose «très forte et très profonde» qui le bouleversait : «C’est la France qui est là ! On avait besoin de ça depuis si longtemps.» Il parlait de Renan et de son célèbre discours sur la nation, «plébiscite de tous les jours». Il voyait le pays dans l’un de ces moments où «le génie nous sort du trou» : De Gaulle disant que la guerre n’est pas perdue, Danton devant la Convention. Le lendemain, Grouard ira jusqu’à couvrir d’éloges Libération : «Votre une «Nous sommes un peuple», putain, qu’est-ce qu’elle est juste !»
Quand il pénètre dans l’hémicycle, ce 13 janvier, Grouard se dit que l’Assemblée va devoir se montrer à la hauteur. Le président Bartolone trouve les mots : «Nous, fils et filles de France, grand pays patiné par l’Histoire, nous voyons d’où nous venons. Nous sentons qui nous sommes. Plus encore depuis le 11 janvier, la Marseillaise aux lèvres, nous savons ce que nous voulons…»
Quand approche la fin de cette minute d’un silence inouï, Grouard se dit qu’il faudrait chanter. N’ose pas. Puis se lance, sous les regards surpris mais approbateurs de ses voisins. Hervé Gaymard est à sa droite, Jean-François Lamour à sa gauche et, devant lui, les élus d’Alsace, qui n’ont jamais cessé d’occuper le premier rang depuis leur retour, en 1918. Il chante seul le premier vers. Bartolone le rejoint au «jour de gloire». Tout le monde s’y met. Valls aussi qui ferme les yeux, soudain détendu, sourire aux lèvres… «C’était très fort et très vrai, je l’ai remercié», raconte l’Alsacienne Arlette Grosskost. Quand l’Assemblée se rassoit, François Fillon pose la main sur son épaule : «Tu sais que ce n’était pas arrivé depuis novembre 1918 ?» Il ne savait pas, comme la plupart de ses collègues.
Le pudique Grouard sonnant la charge patriotique ? Ses amis y voient une consécration. L’ancien Premier ministre célèbre «un homme de cœur qui vit pour la République, un gaulliste viscéral qui ne calcule pas son émotion pour la France et déteste la tambouille politicienne». « Il a chanté juste et au bon moment», note le chiraquien Lamour, qui connaît ce «taiseux d’une rare franchise» depuis le début des années 90. Diplômé de Sciences-Po, le jeune Grouard a débuté, comme Lamour, au cabinet du maire de Paris Jacques Chirac. Dominique Bussereau tient à préciser que ce «type bourré de convictions» n’est pas tout à fait dénué d’humour. En tant que président du Club des parlementaires tintinophiles, il a animé un mémorable débat sur «la crise borduro-syldave dans le Sceptre d’Ottokar».
S’agissant de la France, Grouard ne rigole pas. Il descend d’une dynastie de fabricants de machines à café. Un vieux percolateur de la société Grouard frères est d’ailleurs encore en service à la buvette de l’Assemblée. Jeune étudiant, séduit par Chirac, il adhère au RPR en 1981. Gaulliste comme ses parents, il épuisera vite les joies de la vie militante. «Je déteste les logiques de courtisans. ça m’emmerde, je ne sais pas faire. Je m’y sens mal à l’aise.» Il ne prendra jamais la moindre responsabilité ni au RPR ni à l’UMP. Elu député, il ne se montre jamais salle des Quatre Colonnes, où ses collègues cultivent leur existence médiatique. «Je fuis les poisons et les délices du système», s’excuse-t-il, citant De Gaulle.
Il déteste les entourages communicants, les mises en scène, les coups de bluff. Fin août, alors que les sarkozystes abreuvaient les médias de confidences sur le retour imminent et nécessaire de l’homme providentiel, Grouard avait été le seul, à l’UMP, à protester contre ce «buzz politico-médiatique savamment orchestré». Il faisait savoir, qu’il n’avait «ni nostalgie ni désir de Sarkozy». Homme providentiel ? Pour lui, il n’y en eut qu’un, De Gaulle, et «il n’y en aura pas d’autre».
«L’honneur» commanderait, selon lui, que l’ex-chef de l’Etat «respecte sa promesse» de 2012 en se retirant pour de bon. Pour porter un «projet de redressement»,Grouard continue de faire confiance à Fillon et à son programme de «rupture radicale» : «Fillon a le mérite de reconnaître qu’on a pu se planter et manquer de courage. J’aime son sérieux, son sens de l’Etat et son abstinence médiatique.»
Récemment célébré à Paris, Grouard est loin de faire l’unanimité dans la ville qu’il gouverne depuis quatorze ans. L’ancien maire socialiste d’Orléans Jean-Pierre Sueur, réputé imbattable jusqu’à son élimination surprise en 2001, rappelle que son rival de droite s’est imposé au terme d’une campagne «très démago», centrée sur la dénonciation du chantier d’un tramway que personne ne conteste aujourd’hui. Flanqué d’un adjoint ultra-sécuritaire, le maire d’Orléans sera le premier de France à imposer un couvre-feu pour les moins de 13 ans. Après les attaques terroristes, il a milité pour le rétablissement de «l’indignité nationale», crime inventé après la Libération pour punir les collabos. Et, là encore, il a convoqué Danton décrétant le «bannissement à perpétuité» pour ceux qui avaient quitté la République pour rejoindre l’ennemi. «On n’ose plus rien, on ne dit plus rien. Lisez les conventionnels de 92, nom de dieu !» proteste le député pour qui le tribun Mélenchon, celui de mars 2012 sur la place de la Bastille, est l’un des rares à avoir «le souffle» qui fait tant défaut.
Tous les 8 mai, pour la fête de Jeanne d’Arc, Grouard se fend d’un long poème patriotique prononcé place Sainte-Croix, à Orléans. Il parle de la «rencontre fondatrice du peuple et de ses voix», dit que la France s’est construite «dans la douleur» et qu’elle connaît «le prix du sang».
Fort discret sur sa vie privée, ce père de trois enfants ouvre très volontiers la porte du jardin qu’il cultive du côté de Montargis (Loiret), dans la vieille propriété familiale. «Je voudrais tant qu’il soit très beau.» Incollable sur la glycine de Chine, qu’il ne confond pas avec celle du Japon, il se désole de n’avoir pas plus de temps à y consacrer. «Savez-vous, insiste-t-il, qu’il n’y a pas de grande civilisation sans art du jardin ?» Des rosiéristes ont même créé des roses Charles de Gaulle. C’est dire.
Comments