Le maire LR d’Orléans, Serge Grouard, livre son analyse de la campagne présidentielle 2022 et confie son désir de réformes. Il parle cash.
Radical. Serge Grouard : « Il faut d’abord réformer l’État, c’est la clé de tout. » Propos recueillis par Audrey Emery et Valérie Peiffer
Le Point : La crise ukrainienne rebat-elle les cartes de la présidentielle ?
Serge Grouard : La guerre que subit l’Ukraine fait logiquement passer l’élection présidentielle au second plan. Ce qui est essentiel, c’est de privilégier l’unité de la nation française pour marquer notre volonté commune de faire cesser l’agression russe. La crédibilité de la France est en jeu et exige le soutien au président de la République dans la conduite d’une impérative politique de fermeté. Il ne peut être question de tergiverser là- dessus.
Dans quel état d’esprit êtes-vous, à un mois du premier tour ?
J’ai soutenu Michel Barnier, car je pense qu’il a une stature présidentielle. Il n’a pas gagné la primaire. Dont acte. Maintenant, il faut une alternative à Emmanuel Macron. Depuis quarante ans, la France dévisse dans tous les domaines. Ce qui me détermine, c’est comment sortir le pays de la déliquescence. Valérie Pécresse peut le faire, elle est la seule alternative à Macron. Il faut maintenant se mettre à la hauteur des enjeux.
À quels enjeux faites-vous référence ?
D’abord à la réforme de l’État, qui ne fonctionne plus et est endetté jusqu’au cou. Ensuite au dérèglement climatique : le sujet du siècle. Qu’est-ce qui nous empêche de mener une grande politique énergétique pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre, limiter notre dépendance stratégique vis-à-vis de l’étranger et favoriser le pouvoir d’achat ?
Rien ! Elle est applicable dès demain. À Orléans, nous allons créer une société d’économie mixte pour produire des énergies renouvelables. Si on le fait au niveau d’une ville, pourquoi ne le fait-on pas au niveau national, voire européen ? Autre enjeu : la santé. L’hôpital explose sous nos yeux, seuls quelques bobos croient encore qu’on a le meilleur système du monde. Il y a aussi le déficit commercial de la France, qui culmine à 100 milliards d’euros, l’industrie, dont la part dans le PIB a été divisée par deux en vingt ans, notre déclassement comme puissance agricole exportatrice... Sans oublier les sujets régaliens.
Depuis les années 1960, la délinquance a été multipliée par quatre dans notre pays. Nous avons mis en place des solutions à Orléans, où elle a diminué de 80 % depuis vingt ans. Ce qui marche ici peut marcher dans toute la France. Sur les questions de sécurité et d’immigration, on est toujours sur de faux débats, comme le grand remplacement.
Le recours à ce terme a été reproché à Valérie Pécresse lors de son meeting au Zénith. Pensez-vous comme d’autres que sa campagne est un naufrage ?
Non, elle est passée à côté de son meeting, mais ce n’est pas si grave. On n’est pas au PS et elle n’a pas à faire la synthèse de la synthèse, sinon elle terminera à 4 %.
Si vous étiez membre de son staff, comme vous l’avez été dans celui de François Fillon, que lui conseilleriez-vous ?
François Fillon voulait casser la baraque. Je ne suis pas dans le staff de Valérie Pécresse, ce serait donc facile de dire « y’a qu’à, faut qu’on... ». Je suis cependant convaincu qu’elle doit suivre ses intuitions, se faire confiance et ne pas écouter tout le monde.
Vous donnez l’impression de la soutenir du bout des lèvres...
Je suis malheureux de voir dans quel état est la France. J’aimerais croire en la réincarnation, pour que de Gaulle revienne.
Les Républicains sont-ils en péril ?
Oui, du point de vue politique. Christian Jacob a fait plutôt de bonnes choses. Mais LR n’est pas assez en prise avec les réalités du pays. Le risque, si la droite implose, c’est que la France continue de dévisser. Car nous aurions d’un côté un centre mollasson, qui se borde à droite et à gauche, et, de l’autre, les extrêmes, qui proposent des mesures absurdes ou démagogiques qui risquent de nous conduire à la guerre civile.Comment analysez-vous le phénomène Zemmour ?
Il y a enfin quelqu’un qui ose dire ce que pense une bonne partie de la population, sur les questions de sécurité et d’immigration en particulier.
Que faites-vous en cas de duel Emmanuel Macron-Éric Zemmour ?
(Silence...) Je suis embêté. Pour vous répondre honnêtement, je ne vote ni pour l’un ni pour l’autre.
Comprenez-vous qu’Éric Ciotti et François-Xavier Bellamy choisissent, dans ce cas, Éric Zemmour ?
Je comprends qu’ils se laissent tenter, mais je leur dis que les réponses ne sont pas là ! Mais sans doute qu’Éric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, a pris une position qui n’est pas sans lien avec les échéances législatives à venir...
Face aux départs de LR, avez-vous le sentiment, comme Édouard Philippe, que la « poutre continue de bouger » ?
C’est logique qu’il dise cela puisqu’il y trouve son intérêt. Mais ce n’est pas un phénomène nouveau. Comme de Gaulle le disait à propos de la IVe République, ce sont « les délices et les poisons du système ». Certains se voient déjà ministres...
Quelle réponse peut apporter la droite républicaine face à la montée des populismes ?
Celle de De Gaulle en 1958 : sortir fermement le pays du bourbier, dans le cadre de la République. On parle beaucoup de démocratie participative et de référendum d’initiative citoyenne, je pense que c’est une fausse solution car ce sera toujours la même nomenklatura qui dirigera le pays. Les mesures doivent être radicales. En tant qu’ancien haut fonctionnaire, j’étais hostile au système américain, qui renouvelle la haute administration lors du changement de gouvernement, car j’ai été formé dans l’idée de la continuité de l’État, avec la certitude que les hauts fonctionnaires sont loyaux et apolitiques.
Mais j’en suis revenu. Il faut casser la logique des cabinets ministériels, qui sont composés de jeunes très brillants mais qui ne veulent qu’une chose : faire carrière. Ils ne veulent surtout pas d’emmerdes et pour cela, il faut que leur ministre soit content. Je l’ai vécu au début de ma carrière. Il faut être courageux pour dire au ministre que cela ne va pas.
Partagez-vous le diagnostic de Caroline Michel-Aguirre et Matthieu Aron qui dénoncent, dans « Les Infiltrés » (Allary Éditions), l’influence des cabinets de conseil anglo-saxons ?
C’est complètement fou ! Vous imaginez de Gaulle demander des conseils à un cabinet américain pour mener la politique de défense de la France ? Ce phénomène, qui ne date pas de Macron, est lié à la défiance des politiques vis-à-vis de l’administration et réciproquement. Le recours à ces cabinets est censé objectiver le débat.
Y a-t-il des choses à sauver de la présidence Macron ?
Il y a eu un certain nombre de mesures économiques, notamment de réduction des charges, qui ont été plutôt positives. Le problème, chez Emmanuel Macron, c’est qu’il y a beaucoup de déclarations d’intentions et peu d’effets. Pour une raison simple qu’on ne dit jamais : l’État n’a plus les moyens de conduire ses politiques. Si on ne restaure pas les capacités financières de l’État, on joue de la flûte.
Est-ce pour cela que les abstentionnistes forment aujourd’hui le plus grand parti de France ?
L’abstention est liée au fait que les gens pensent que voter ne sert à rien. Le mal qui ronge la démocratie, c’est le décalage entre le discours électoral et la réalité des réalisations. Le jour où l’on commencera à avoir des résultats, on intéressera à nouveau les gens.
En même temps, on a l’impression qu’il est impossible de réformer la France...
Parce qu’on ne fait pas ce qu’il faut faire, ni dans le temps où il faut ni dans l’ordre où il faut. Il faut d’abord réformer l’État, c’est la clé de tout. Sinon, c’est comme si on se lançait dans un Grand Prix de Formule 1 au volant d’une Coccinelle. On commence par remettre de l’ordre dans le budget et par virer tout ce qui ne sert à rien, toute la petite sphère politico-administrative et les entreprises parapubliques qui dirigent le pays. La Cour des comptes pointe cela tous les ans...
Faut-il une réforme institutionnelle ?
Le vrai problème est celui de l’équilibre entre l’exécutif et le législatif. Les députés ne font plus réellement la loi : les textes arrivent tout ficelés par le gouvernement, qui décide même de l’ordre du jour. Il faudrait imposer une lecture unique dans chaque assemblée : un texte ordinaire est lu dix fois en moyenne entre l’Assemblée et le Sénat. Tout cela est aberrant. On fonctionne comme au XIXe siècle.
Vous avez lancé votre site, In Situ, on vous a beaucoup vu sur CNews... Avez-vous des ambitions nationales, législatives ?
Non, j’ai déjà donné. Je me suis énormément investi avec Fillon. Aujourd’hui, j’ai peut- être un peu trop de bouteille, je connais trop tous ces petits jeux, et je trouve qu’on est au degré zéro de la politique. Mais je tiens à dire que les maires ont envie de faire. C’est pour cela qu’il faut les mettre au pouvoir et faire un gouvernement avec eux.
Arnaud HEBERT/REA POUR LE POINT
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