J’ai été élu maire d’Orléans en 2001. Cette année là, il a été enregistré exactement 8659 faits de délinquance. Celle-ci avait fortement progressé comme dans beaucoup d’autres villes. Agressions croissantes, voitures brûlées, phénomènes de bandes devenaient monnaie courante, loin de la ville tranquille du temps d’avant.
Près de 20 ans plus tard, ces mêmes faits de délinquance n’étaient plus que 2117 (en 2019 donc hors période covid exceptionnelle). Soit quatre fois moins. La délinquance dite de proximité a baissé dans tous les quartiers sans exception et pour toutes les rubriques (vols, vols avec violence, agressions, dégradations de biens, cambriolages…). Ce qui fait d’Orléans, me semble-t-il, la seule des grandes villes de France à obtenir de tels résultats.
La part des mineurs dans la délinquance a diminué de 23%. Le nombre des mineurs mis en cause pour des faits de délinquance a été divisé par plus de deux, de 3820 à 1675.
Le nombre de personnes interpellées par la police municipale est passé de 35 en 2001 à 728 en 2019.
Le taux d’élucidation des crimes et délits a été multiplié par trois, passant de 17,1% à 49,4%.
Au total, et même s’il reste encore à faire, l’ambiance dans la ville s’est transformée du tout au tout.
Entendons-nous bien. Si je dis cela, ce n’est en aucune manière avec une sorte d’autosatisfaction déplacée. Je sais la fragilité de ces résultats. Je sais que demain nous pouvons de nouveau être confrontés à une nouvelle délinquance. Je sais que nous n’avons pas tout réussi et qu’il demeure notamment un trafic important de stupéfiants. Ce qui m’importe est d’expliquer ce que nous avons fait et comment nous l’avons fait parce que ce qui a globalement réussi à Orléans peut réussir dans n’importe quelle ville et dans n’importe quel territoire.
Quels sont les ingrédients ?
1 – Les premières mesures dès l’été 2001 et une volonté sans faille.
L’équipe municipale manifeste d’abord sans délai une volonté politique sans faille malgré les critiques non moins fortes politico-médiatiques. Orléans est la première ville de France où un arrêté interdisant aux mineurs de moins de treize ans de circuler seuls de nuit dans certains quartiers sensibles (arrêté rebaptisé « couvre-feu ») est validé en Conseil d’Etat après d’ailleurs que cet arrêté ait été attaqué en justice par l’Etat lui-même considérant que je portais atteinte, en tant que Maire, aux libertés fondamentales de la République !
D’autres arrêtés municipaux suivront relatifs aux bivouacs sur la voie publique ou encore contre une prostitution galopante.
Nous commençons également à déployer des caméras de vidéoprotection et les critiques redoublent contre la ville « Big Brother ». Un Centre de Sécurité Orléanais (CSO) est créé et sera par la suite étoffé avec réception des images, surveillance et protection des bâtiments municipaux, réception des appels des personnes, gestion des patrouilles et des interventions sur le terrain. Il est joignable 24 heures sur 24, sept jours sur sept.
2 – La réorganisation complète de la police municipale
Les effectifs sont augmentés (55 policiers municipaux en 2001, 107 en 2020).
La police est professionnalisée et sera armée par la suite, ses concepts d’emploi sont revus et corrigés selon trois principes : Patrouillage, ilotage, zonage. L’objectif est simple : être au maximum sur le terrain, en capacité de réagir au plus vite aux évènements. Une Brigade canine (Unité Rapide d’Assistance et d’Intervention Cynophile) est créée ainsi qu’une Brigade de Surveillance et d’Intervention intervenant notamment de nuit. Il est fait appel aux moyens technologiques tels que la géolocalisation, la vidéoprotection et la cartographie de la délinquance en temps réel. La Police Nationale a vu ses effectifs confortés, lorsque Nicolas Sarkozy était Ministre de l’Intérieur puis diminués plus récemment et recomplétés début 2021.
L’ensemble de cette réorganisation explique les augmentations significatives des interpellations et du taux d’élucidation.
Les causes de la délinquance sont d’abord socio-éducatives avant d’être socio-économiques,
3 – Un étroit partenariat entre l’ensemble des acteurs de la lutte contre la délinquance
Deux Groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) sont crées et coanimés par le Procureur de la République et le Maire avec la participation du Directeur de cabinet du Préfet, du Directeur de la Police nationale (DDSP) et également de l’Education nationale et des acteurs sociaux. Ils permettent le partage de l’information et la mise en œuvre concrète d’actions communes.
Au plan opérationnel, la Police nationale et la Police municipale travaillent en étroite coordination. Des dispositifs permettent par exemple le transfert des images du CSO vers le Centre de la Police nationale et au profit de la Police Judiciaire. Ainsi, en 2020, ce sont 308 extractions judiciaires qui ont pu être faites grâce à la vidéoprotection. En partenariat avec la Justice, un dispositif de Travail d’intérêt général (TIG) permet d’accueillir chaque année environ 100 personnes condamnées dans les services de la Ville d’Orléans.
4- Un important volet de prévention et de réussite éducative.
Partant du constat que les causes de la délinquance sont d’abord socio-éducatives avant d’être socio-économiques, la Ville d’Orléans a très vite mis en place une politique visant à « sortir l’enfant de l’école de la rue ». Elle y consacre chaque année de l’ordre de 7 millions d’euros. Un étroit partenariat a été construit avec l’Education Nationale au travers d’un Contrat de réussite éducative et avec l’ensemble des acteurs sociaux.
Un « Carrefour des parents » regroupant médecins, psychologues, acteurs socio-éducateurs et parents référents aide au quotidien les parents en difficulté à asseoir leur autorité et exercer leurs responsabilités. 1500 parents sont ainsi aidés chaque année.
Loin de la logique des « grands frères », des équipes de « parents-relais » vacataires de la mairie, renforcent le contrôle social et parental dans la rue.
Quatre Maisons de la réussite ont été créées dans les quartiers prioritaires et la prévention spécialisée a été réformée en profondeur.
Pour les enfants, des Clubs coup de pouce clé aident aux apprentissages de base, un Service de veille éducative (SEVE) est chargé de repérer les enfants en difficulté et de proposer à leurs parents un suivi personnalisé. Aux adolescents sont proposés des dispositifs d’accompagnement éducatif et notamment un dispositif « passerelle » pour la prise en charge des collégiens exclus de leur établissement ou décrocheurs, et aux jeunes adultes des possibilités d’insertion par l’emploi ou encore de formation avec, par exemple, une école de la deuxième chance pour ceux qui auraient quitté l’école précocement et sans diplôme.
Bref, ce sont autant de dispositifs qui ont été créés pour proposer des solutions à la carte aussi proches que possible des besoins individuels. Et, contrairement aux idées reçues, ces dispositifs emportent des réussites individuelles remarquables pourvu qu’ils soient bien encadrés. Ils expliquent pour une bonne part, la diminution régulière du nombre de mineurs impliqués dans les faits de délinquance et ce, sur une longue durée de vingt années.
Enfin, une rénovation urbaine en profondeur a permis, grâce au plan Borloo de transformer certains quartiers dégradés et d’y renforcer les services et les équipements publics.
Contrairement aux idées reçues, ces dispositifs emportent des réussites individuelles remarquables pourvu qu’ils soient bien encadrés.
5 – L’adaptation permanente de la réponse à l’évolution de la délinquance.
La délinquance évolue en permanence et prend de nouvelles formes depuis le terrorisme islamique, les agressions croissantes contre les forces de l’ordre, jusqu’à ces délits du quotidien comme les rodéos, qui pourrissent la vie de nos compatriotes. L’adaptation à ces évolutions est donc essentielle.
Une Police municipale intercommunale des transports est créée en 2005 pour mieux lutter contre la fraude dans les transports en commun. C’est également une première en France. Le nombre de patrouilles dans les bus et tramways passe de 5289 en 2006 à 27547 en 2015. D’autres intercommunalités telle la communauté d’agglomération de Melun ou Nantes Métropole ont créé une PMIT en s’inspirant du choix que nous avons fait à Orléans.
Un nouveau dispositif voit le jour en 2014 pour lutter contre les ivresses publiques (IPM) grâce à une convention tripartite Mairie-Police-SOS médecins. Des actions conjointes Police Nationale/Police Municipale sont menées pour prévenir les mariages dits exubérants. Des actions spécifiques contre les rodéos aboutissent régulièrement à des mises en fourrière…
De cette expérience de vingt ans, je retire quelques enseignements :
D’abord, il faut oser affirmer et afficher une forte volonté politique et l’inscrire dans la durée quelles que soient les critiques. Ce n’est pas toujours facile parce que les minorités agissantes cherchent systématiquement par la manipulation et la désinformation à vous diaboliser. Cette volonté doit se traduire par une stratégie globale de tolérance 0 et des principes simples : Complémentarité des politiques de prévention et de répression, partenariat de tous les acteurs de la sécurité sur le terrain et renforcement du triptyque maire/préfet/procureur, levée d’un certain nombre de tabous au premier rang desquels l’immigration. Cette volonté et cette stratégie manquent cruellement au niveau national.
Aujourd’hui, l’Etat régalien, réunissant les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense principalement, est le parent-pauvre de l’Etat.
Ensuite, il faut mettre le paquet sur les moyens sous peine d’être dans les bonnes intentions et les grands discours sans résultat. Aujourd’hui, l’Etat régalien, réunissant les ministères de la Justice, de l’Intérieur et de la Défense principalement, est le parent-pauvre de l’Etat. En 1966, la France consacrait 6,5% du PIB aux dépenses régaliennes ; Ce chiffre n’est plus que de 2,5% aujourd’hui. Tant que l’on ne donnera pas à l’Etat les moyens de fonctionner efficacement, on ne fera que jouer de la flûte. Mais les moyens ne sont pas seulement financiers. Ils sont aussi juridiques. L’Etat ne les maîtrise pas tous puisqu’il s’en est partiellement dessaisi au profit de l’Union européenne et de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Il faut donc les retrouver.
Enfin, il faut une réorganisation totale de la gouvernance et de l’organisation de la politique de sécurité. Sinon on en restera à de la bricole.
Je vais revenir sur tous ces sujets très prochainement pour proposer un véritable plan d’action de retour à la tranquillité publique. L’expérience orléanaise me fait dire que c’est possible.
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